Le projet artistique
LE SENS DES CHOSES
Nous sommes début juillet. Sur ce terrain vague dans le quartier du Montcel à La Ricamarie, sous les derniers rayons du soleil chauffant, un petit groupe de femmes discute du spectacle qu’elles viennent de voir. Un spectacle de rue. Du cirque. Je m’approche :
- « Vous nous avez fait du bien ».
Cette phrase me restera longtemps en tête. Alors que, dans le meilleur des cas, la plupart des gens auraient conclu par un simple « C’était bien », leurs mots à elles étaient plus profonds, empreints d’une nécessité.
- « Vous nous avez fait du bien ».
Nous ne sommes pas des médecins, mais en quelques mots ces femmes, pour qui ce sera sans doute le seul spectacle qu’elles auront vu de l’année, auront tout dit du sens que revêt la notion de service public de la culture sur un territoire qui subit de plein fouet toutes les détresses de notre monde. Pourquoi sommes-nous là ? Pour qui ? Avec qui ? Pour faire quoi ? Avec quelles exigences ? Quel est le sens de notre présence sur ce territoire ?
C’est en partant de ces questionnements, plus quelques autres, qu’est né le projet artistique que l’équipe du Centre Culturel mène à La Ricamarie.
Le fait de débuter ce projet en parlant du public ne doit rien au hasard. Il est bien entendu, l’élément central de notre réflexion. Un public pour lequel il nous faut être exigeant. Parce que oui, conduire un projet culturel sur ce type de territoire revêt une importance capitale. Parce que l’éloignement n’est pas tant géographique que social, culturel, économique, humain, moral. Le projet que nous portons est fondateur de valeurs communes, de ce que l’on appelle communément et sans doute de façon inadéquate et simpliste un vivre ensemble.
Pour élaborer notre projet nous avons regardé, écouté, analysé, rencontré, réfléchi, refusé aussi, pesé le pour et le contre, sans jamais céder à la facilité. C’est grâce à cette exigence-là que nous avons su tisser nos liens de territoire, avec des associations, des villes, des individus, des collectifs, des établissements scolaires, qui au fil des ans, sont devenus nos partenaires. Le tout sans perdre de vue l’indispensable notion de plaisir qu’il y a à se rencontrer, échanger, découvrir, rire, pleurer, parler, s’émouvoir. Sans perdre de vue non plus que ce que nous appelons le public est constitué d’une myriade d’individus, tous aussi différents les uns que les autres. Ils sont jeunes ou plus âgés, parfois riches, parfois pauvres, maitrisant la langue ou non, sans oublier pour autant que ce n’est pas une cause de déculturation, sans stigmatiser mais au contraire en essayant d’entraîner chacune et chacun sur un chemin commun, quitte à ce que les voies pour y arriver soient différentes et appropriées.
C’est le constat qui guide nos choix et nos orientations. C’est le sens que nous mettons à ce que nous faisons, à ce que nous proposons au public. C’est le sens des choses.
Un projet en lien avec le territoire
L’écriture dramatique contemporaine au coeur du projet
Parler du monde, de l’homme et de sa place dans une société mondialisée qui bouscule les valeurs et les certitudes et où la culture est plus que jamais indispensable pour réinterroger notre histoire, questionner le présent et imaginer (ou rêver) le futur, est au coeur du projet artistique du Centre Culturel de La Ricamarie. C’est pourquoi les nouvelles écritures et les auteurs contemporains sont au centre de notre réflexion globale.
S’intéresser à l’écriture et à la lecture c’est aussi de façon plus prosaïque, répondre à une préoccupation que l’on retrouve dans bien des villes, à savoir reprendre plaisir à la lecture et à l’écriture et en finir avec l’échec des mots. Pour cela le texte théâtral, celles et ceux qui le font, sont des outils précieux. Ils parlent avec nos mots, de notre temps, de nos vies, de celles et ceux qui sont notre quotidien. Ils permettent de se projeter et de s’identifier à des personnages fictifs. Ils permettent aussi de s’évader, de s’imaginer un ailleurs et un autrement.
Soutenir la création
L’écriture contemporaine dans la programmation
Les écritures contemporaines - toutes disciplines confondues - conserveront une place centrale dans le projet artistique du Centre Culturel de La Ricamarie.
Un lieu d’accompagnement des compagnies
La saison est construite avec l’idée qu’il y a du plaisir à se rencontrer, à réfléchir, à penser notre monde différemment, à être en phase avec les courants de pensée qui bouleversent notre époque. Il s’agit, au travers des propositions artistiques que nous faisons, de tenter de mieux comprendre le bouillonnement qui agite notre société, les révoltent qui couvent, les remises en cause d’un ordre établi et souvent vécu comme injuste. Le tout en posant de nombreuses questions sans tenter d’apporter de réponses dogmatiques. Ces espaces de réflexion nous paraissent essentiels. C’est la couleur de notre programmation. C’est, selon nous, le sens des choses.
Pour soutenir son projet, le Centre Culturel de La Ricamarie s’est associé à une équipe d’artistes avec laquelle il partage une vision commune du service public de la culture. Le choix s’est volontairement porté sur des individus au parcours et aux expériences très variés. Nous retrouvons Laurent Fréchuret, directeur artistique du Théâtre de l’Incendie, Grégoire Béranger, directeur artistique de la compagnie Halte, Simon Grangeat, auteur, Angeline Bouille, chanteuse et comédienne, aux côtés de deux jeunes artistes tout juste sorties de formation, Salomé Chabouzy et Louise Forêt, fondatrices de la compagnie La Tranchante.
Les spectacles dans l’espace public
C’est un volet de la programmation auquel nous sommes attentifs depuis plusieurs années pour 3 raisons essentielles.
Nous avons intitulé ce projet « Le sens des
choses ».
- Aller dans la rue c’est avant tout aller au devant d’un public qui ne fréquente pas les lieux de culture. Diffuser des spectacles dans l’espace public, en partenariat avec des associations im-
9 sur 19 plantées dans ces quartiers, c’est aller à la rencontre de celles et ceux pour qui la culture, le spectacle vivant, la littérature, ne font pas partie des priorités. C’est leur apporter des moments de poésie, de rencontre, de plaisir, auxquels nous sommes attachés.
Aller dans la rue, c’est aussi occuper l’espace public. Dans une ville où l’occupation des espaces publics est une préoccupation sociale, sécuritaire, environnementale, nous prenons en compte cette dimension tout en restant dans le cadre de nos compétences. Il ne s’agit bien évidemment pas d’apporter des réponses qui ne sauraient être de notre ressort mais de prendre en compte cette réalité de terrain dans notre action.
La décentralisation
Le déplacement des oeuvres et des artistes est un élément fondamental de la démocratisation culturelle. C’est pourquoi nous avons passé commande ou programmé des formes susceptibles d’être jouées dans des lieux non dédiés.
En collaboration avec les autres communes de la vallée de l’Ondaine ou du Haut Pilat, nous mettrons en place une série de propositions visant à aller à la rencontre de ces publics.
Des tarifs privilégiés favoriseront les déplacements au Centre Culturel de La Ricamarie pour assister à des formes plus importantes nécessitant des moyens techniques adaptés.
Il nous paraît également important d’aller dans ces villages à la rencontre des publics. C’est pourquoi nous ferons des propositions d’accueil de petites formes.
Une action culturelle soutenue
Une politique culturelle ambitieuse sur ce territoire ne saurait faire l’impasse sur la mise en oeuvre d’une politique d’éducation artistique et de médiation pertinente et proche des publics. La mise en relation des artistes, de leurs oeuvres avec le public est donc un élément fondamental de notre action.
Avec les scolaires
Franchir la porte d’un théâtre pour la première fois, se confronter à un monde inconnu régi par des codes différents du quotidien n’est pas inné. Convaincu qu’il ne peut y avoir de démocratisation de l’accès à la culture sans une confrontation à l’art la plus précoce possible, il est de la responsabilité d’un Théâtre d’offrir à chacun cet accès aux disciplines artistiques dès le plus jeune âge. Il est nécessaire de considérer « l'enfant spectateur », de lui faire connaître chaque fois que possible des artistes et des spectacles qui lui permettront de découvrir la diversité des lieux et des formes de création, d'éprouver des émotions, enrichir son vocabulaire, développer sa sensibilité, aiguiser son sens critique.
Plus particulièrement développées par le Centre Culturel, les actions en milieu scolaire concernent les écoles primaires, les collèges et les lycées. Elles reposent sur 3 principes fondamentaux : voir, échanger, pratiquer. Les actions sont en général adossées à la programmation et sont animées soit par les artistes accueillis dans la programmation, soit par les artistes de l’équipe artistique associée.
Chaque année, chaque enfant scolarisé en élémentaire à La Ricamarie voit 2 spectacles en maternelle et 3 en primaire, toutes esthétiques confondues. La même attention est portée à cette
programmation qu’à celle pour les adultes, afin que les enfants puissent se confronter à des oeuvres de qualité écrites à leur « hauteur », reflétant les questionnements spécifiques à leur âge. Des créations sont accueillies et certaines soutenues, que ce soit dans le cadre de résidences ou hors résidences. Ces soutiens se poursuivront au gré des projets.
Le choix de la gratuité a été fait par la ville de La Ricamarie il y a plusieurs années. Il fait partie de la convention qui nous lie à la commune.
Pour le secondaire, le choix est de ne plus proposer de séances scolaires à partir de la classe de 4ème. Au-delà, les élèves sont accueillis en soirée.
Les publics feront bien sûr l’objet d’une bienveillance particulière, notamment dans l’adresse et dans l’accueil qui leur seront réservés. Nous les solliciterons à diverses étapes de la création à la programmation :
- pour assister aux spectacles inscrits dans les programmations du Centre Culturel.
- pour assister et/ou participer à des séquences d’un suivi de création.
- pour assister à des répétitions publiques.
- pour participer à des stages, des ateliers proposés par les artistes en résidence.
- pour encourager la sortie en famille, en développant les ateliers parents/enfants autour des programmations.
Il s’agira donc d’un subtil canevas qui devra articuler les temps où les artistes doivent pouvoir travailler seuls et les temps où ces artistes sont en capacité d’ouvrir les portes de leur univers et d’échanger avec les publics.
Il s’agit de placer le spectateur en situation d’acteur et de partenaire et non pas en situation de consommateur.
Ces actions d’éducation artistique et culturelle sont conduites sur l’ensemble du territoire et concernent des élèves de la vallée de l’Ondaine, de l’agglomération stéphanoise et de la plaine du Forez.
Hors temps scolaire
Convaincue qu’une politique culturelle sur notre territoire ne saurait se mettre en place sans des actions de médiation fortes, l’équipe du Centre Culturel de La Ricamarie a mis en place différents projets visant à aller à la rencontre d’un public peu enclin à fréquenter les lieux de culture. Cette politique de médiation repose avant tout sur un partenariat fort avec le tissu associatif local et avec les services municipaux. C’est là la clef de voûte de notre action. Toutes les propositions faites aux partenaires sont issues de la programmation. Elles sont reliées entre elles et conservent une réelle cohérence avec le projet du Centre Culturel. C’est un point important. Il ne s’agit pas d’être « au service de » ou de répondre à des problématiques qui ne correspondraient pas à notre vocation. Il s’agit par contre de tenir compte d’une réalité de terrain en apportant notre propre savoir-faire, des entrées différentes, des outils culturels que nous maîtrisons, tout en restant clairement dans le cadre de nos missions de service public de la culture.
Conclusion
Développer et faire fusionner ces projets c’est être porteur de sens dans une ville comme La Ricamarie. C’est se projeter joyeusement et avec gourmandise dans un avenir tout en considérant le passé, l’histoire, le vécu d’une association qui a fêté ses 50 ans d’existence en 2022. 50 ans au service des publics, tout en se renouvelant, en inventant, en imaginant d’autres possibles avec des artistes, sans espérer atteindre un jour l’âge de raison. Il s’agit désormais d’entrer dans une dynamique nouvelle, d’inviter artistes et publics à réfléchir notre monde autrement, à s’autoriser à changer une planète qui brûle. Il s’agit de trouver quoi dire qui n’a pas été déjà mille fois répété; se donner la liberté d’être légitime et en accord avec sa simple condition d’humain. Ce projet permet de porter les mots des artistes. Il permet surtout qu’ils aillent vers celles et ceux à qui ils sont destinés. Né de la volonté d’élus convaincus qu’il n’est pas possible de faire société sans éducation et sans culture, le Centre Culturel de La Ricamarie conserve non seulement sa vocation d’être en adresse avec le plus grand nombre-c’est un euphémisme, mais il se doit d’exiger l’exigence : celle des artistes, celle qu’il doit au public. Sa fonction n’est pas seulement de remplir les salles, il est l’un des outils sensibles de l’initiative citoyenne. C’est dans son ADN, dans sa mémoire. Sa seule arme est de nourrir un imaginaire collectif, de porter le beau au milieu du flot des indifférences, d’être un grain de poussière qui se joindra à d’autres pour, en toute conscience, influer sur la marche du monde. C’est d’une ambition immodeste et déraisonnable.